l'éclair de la rose

carnet web du poète robbert fortin

jeudi, août 24, 2006

Critique Les dés de chagrin: Benoit Jutras, VOIR, MTL

Journal VOIR, Montréal, 24 Août 2006
Fins du monde
Critique: Benoit Jutras


Robbert Fortin nous offre un recueil secoué par la force de l'épreuve et la violence du sort. Une voix, un souffle au coeur.

Dixième recueil du poète et artiste multidisciplinaire Robbert Fortin, Les dés de chagrin s'annonce dès les premières pages comme un projet semblable à une purge d'amour mort, une méditation s'orchestrant autour des multiples éclaboussures du vague à l'âme. En somme, un blues solitaire creusant les tranchées du coeur, un lamento. Or, même si elle est escarpée, fielleuse ou élégiaque, l'émotion est toujours fluide, grâce à ce souci de transparence et de vérité, palpable dans le travail du poète.
Composé de trois segments (Les dés de chagrin, Relancer les dés, Alea jacta est), l'ouvrage met en scène une voix oscillant entre "les contours de la colère", de "vivaces lenteurs" et un "barbare courage d'être". C'est tout dire: nous avons affaire à une traversée de la nuit quand la nuit donne autant qu'elle humilie: "ai-je fait la file pour quelques miettes de pain". Plusieurs vers de la première partie sonnent comme des accords de violoncelle: graves, lancinants, comme ivres de douleur, des variations sur le même thème. Relancer les dés change un peu la donne. La poésie de Fortin accepte alors, encore plus gravement, la fragilité et l'énigme d'être vivant: "ma langue a mordu la poussière / à portée de soleil éteint", "me voici mains nues / ma vie peut avancer".

Cependant, une question se pose quant à la nécessité du dernier tiers de l'ouvrage. Le poème donne le relais à une prose réflexive un peu entendue sur la création, ce qui
fait injustement ombrage au reste du recueil qui, dans sa foudroyante authenticité - son projet ressemblant à un saut de l'ange -, n'est jamais dénué de grâce et de moments-phares: "je te prenais dans mes bras pour entendre battre le grand son de croire".